De bon matin, après une bonne nuit réparatrice, je descendis dans la cuisine me préparer un thé acheté chez l’épicier, accessoirement herboriste du village. Cultivé, torréfié et séché à l’ancienne selon les méthodes ancestrales d’Ad’Lucem, ce thé de couleur ambrée au goût subtilement fumé est un délice, une pure merveille. Il se rapproche beaucoup du thé du Yunnan que je consomme quotidiennement dans mon monde d’origine, mais sa saveur me semble plus prononcée, plus typée. Il ne pousse que sur les hauts plateaux près d’Ad’Lucem. Je respecte scrupuleusement les conseils de préparation que m’a prodigué le paysan associé à l’épicier, dans une théière en fonte.
Je parcours ma bibliothèque pendant ce temps pour en sortir un livre, qui a attiré mon attention, épais comme un pavé, dont la couverture est faite de cuir élégamment gravé d’entrelacs dans un style celte (je fais toujours un parallèle avec le monde moderne), de couleur vert émeraude, en bon état global, malgré de légères encornures aux coins. Les pages sentent bon le livre ancien, j’en déduis donc que son ancien propriétaire était très soigneux. Je sors m’asseoir sur le banc en bois devant ma maison et plonge dans ce fascinant ouvrage. Je vois des formules dans une langue locale, des schémas explicites, des recettes de potions et autres élixirs, puis des sortes de fiches descriptives de plantes et autres baies nécessaires à la confection des recettes, à la fin du livre.
Ma parole, on dirait bien un livre d’alchimie combiné à un grimoire !! Je n’en crois pas mes yeux !! J’étais sûre que l’on pouvait en trouver dans ce monde !! Celui-là, je crois bien que je vais le garder précieusement afin de l’étudier de plus près, voire de tenter de lui faire passer la porte magique avec moi si toutefois j’en ai la possibilité….. J’ai hâte d’en parler à Kim, Jack et Cheryl !! Je continue ma lecture quand soudain, j’entends un « Bonjour Abigail ». Je sursaute, tellement j’étais absorbée par ce livre peu ordinaire.
« Ah tiens, bonjour Cheryl , lui répondis-je avec un grand sourire. Je vais très bien merci, le beau temps est là, j’en profite pour passer un peu de temps dehors. Et toi, comment vas-tu ? »
Cheryl me dit d’une voix timide qu’elle aimerait bien faire plus ample connaissance avec moi, ce que j’accepte bien évidemment. Je ne la connais que peu donc cela fera une occasion. A ce moment là, son petit-ami passe en coup de vent avant d’aller travailler et me passe également le bonjour. Ce qui l’amène à me demander si j’ai un petit ami en ce moment.
« Non, lui répondis-je, je suis célibataire depuis 18 mois….. Une douloureuse rupture, d’autant que nous étions ensemble depuis près de 8 ans !! Il est chercheur, comme moi. A cause de nos emplois du temps respectifs, nous ne trouvions guère le temps de se consacrer l’un à l’autre. Il est parti, il s’est volatilisé un matin sans me donner la raison de son départ, mystérieusement….. Je n’ai plus de nouvelles, je ne sais même pas ce qu’il est devenu. J’ai sombré dans une dépression sévère avec séjour en hôpital psychiatrique car je ne mangeais plus, je me laissais aller…. Je suis sortie au bout d’un mois et le fait de retourner à mon travail m’a fait tenir le coup. Puis j’ai retrouvé Jack et Kim, qui m’ont été d’un précieux soutien. Je ne les remercierai jamais assez. Tiens, regarde ce que j’ai trouvé dans ma bibliothèque. Ouvre-le, regarde, et tu m’en diras des nouvelles….. Je crois avoir trouvé mon prochain sujet de recherches ».
Je tends le livre à Cheryl, et il ne lui a pas fallu plus de 4 secondes pour qu’elle accroche….




Les gens sans vision, sans rêve, sans espoir, sans ambition, sans projets, sans désir de vaincre feront tout pour vous rabaisser à leur niveau. Résistez!!  

C’est un vrai bonheur d’échanger une conversation et de partager son vécu et sa culture avec un être issu d’un monde totalement différent. On s’apprend mutuellement plein de choses intéressantes sur nos modes de vie respectifs, la culture dans laquelle nous baignons. En ce moment même, elle m’interroge sur l’utilité des vêtements que portent les mannequins (Kim lui avait préalablement expliqué ce que c’est et à quoi ils peuvent servir) des vitrines. En fait, c’est surtout le peu de tissu qui composent les vêtements qui l’intrigue.
« Le haut que tu viens de voir sur le mannequin est un soutien-gorge, et le bas est un shorty. C’est un peu plus couvrant qu’une culotte. Il s’agit de sous-vêtements, qui, comme le nom l’indique, se portent sous nos vêtements afin de protéger ces parties du corps contre d’éventuels frottements. Le soutien-gorge quant à lui a surtout une fonction esthétique, il donne une forme en quelque sorte à la poitrine afin de répondre à des critères de beauté plus ou moins imposés par notre société moderne. A noter que les canons de beauté ont évolué au fur et à mesure que les années passent. Si, actuellement la mode est à la minceur, voire extrême parfois, il n’en n’a pas toujours été ainsi autrefois. A une certaine période de notre histoire, l’idéal féminin était une femme bien en chair, à la peau laiteuse de préférence. Car les rondeurs et la blancheur caractérisaient les plus hautes sphères de la société, l’aristocratie. Alors qu’aujourd’hui, on associerait une personne corpulente et blanche plutôt aux milieux sociaux populaires. Et à l’inverse, la minceur et le bronzage aux plus aisés. Aux pauvres, le surpoids et la blancheur à cause du manque de moyens pour partir en vacances, et donc quasi obligation de se procurer de la nourriture bon marché et de qualité moindre. Aux riches, la minceur grâce à la nourriture haut de gamme, les coach personnels et la chirurgie esthétique et le bronzage grâce aux vacances au soleil et aux séances d’UV……. Voilà, j’espère avoir expliqué clairement. Je n’ai fait que résumer, car il y a énormément de choses à dire sur le culte de l’apparence. Ah oui j’ai oublié de mentionner un point très important : Cette pression sociale pèse essentiellement sur les femmes, car hélas dans notre monde elles ont été et sont toujours considérées comme inférieures à l’homme. On encourage les femmes à êtres belles, jeunes, toujours dévouées à leur mari qui lui a été plutôt encouragé à faire carrière et utiliser son cerveau. Sais-tu qu’à une époque, l’école et l’instruction en général n’étaient réservées qu’aux garçons ? Car on pensait à tort les femmes incapables de penser….. Mais moi je pense plutôt que les hommes voyaient en la gent féminine une réelle menace pour eux, donc il n’y avait plutôt pas intérêt à ce que les filles et les femmes réfléchissent, des fois qu’elles comprennent que le patriarcat leur mettait des bâtons dans les roues et qu’elles deviennent plus savantes que les hommes…… Bref, c’est un sujet vaste et complexe que j’ai évoqué ici, et j’imagine que tu dois trouver notre monde cruel et injuste. Malheureusement je crains bien que ce soit le cas. Je ne connais pas encore assez le tien, mais je ne demande qu’à le connaître davantage. Existe-t-il des inégalités comme celles-ci à Scientia ? Ou tout le monde vit harmonieusement ? Mais je peux te dire que le peu que j’ai vu de ton monde m’a semblé plus paisible que le mien. Allez, racontes, dis m’en plus !! »



Les gens sans vision, sans rêve, sans espoir, sans ambition, sans projets, sans désir de vaincre feront tout pour vous rabaisser à leur niveau. Résistez!!

Bon, je crois qu’il va falloir que je sois plus explicite dans mes explications, car je me suis exprimée comme une fille du monde moderne à une fille du monde moderne, par réflexe. Je me sens un peu gênée qu’elle ne m’ai pas comprise, et je sens que je vais avoir plus de pain sur la planche que prévu.
« Désolée Cheryl de ne pas avoir été suffisamment claire, mais tu sais quand je suis lancée dans une discussion, je ne peux plus m’arrêter, je suis un peu dans mon monde et j’extrapole. Je vais essayer de développer un peu plus. Je commence par le shorty. C’est une espèce de culotte, comme te l’a expliqué Kim, mais un peu plus couvrante que celle qu’elle t’as décrit. Mais cela reste une pièce que l’on porte sous les vêtements. Au final, l’utilité reste la même. Alors pourquoi appelle-t-on cela un shorty plutôt que culotte, même moi je l’ignore.
L’esthétique, c’est ce mot que l’on emploie pour désigner ce que la société considère comme « beau ». C’est totalement stupide car la beauté est une notion très subjective. Ah ce n’est pas évident à expliquer tout ça, j’essaie d’être la plus claire possible, mais si tu as d’autres questios à me poser, n’hésites surtout pas. Tu n’es pas ignorante, c’est normal que tu sois un peu déconcertée lorsque tu entends tous les termes modernes que j’emploie, et toutes ces choses que tu n’as pas l’habitude de rencontrer dans ton monde.
Pour ce qui est de l’aristocratie, j’avoue m’être un peu trop éloignée du sujet. En fait je t’ai un peu raconté l’histoire de l’esthétisme en quelque sorte. Que ce qui était considéré comme beau à une certaine époque ne l’est plus à une autre, et cela change constamment. Et cela varie en fonction des classes sociales. La population de notre monde moderne est divisée en plusieurs catégories en fonction des ressources des familles. On en distingue 3 principalement. La classe aisée (la version plus moderne de l’aristocratie si on veut), la classe moyenne, et la classe populaire, qui est en fait un doux euphémisme pour parler des pauvres gens qui n’ont que peu de ressources. Il existe parmi ces catégories des sous-catégories, mais ce serait trop long à développer, on y serait encore demain matin. Ce que je voulais dire par là est que chaque classe sociale à ses propres codes, qu’ils soient vestimentaires, culturels ou autres, ce qui permet de distinguer à quelle catégorie une telle personne pourrait appartenir. Mais attention, cela reste une généralité, et là je te parle en toute objectivité, car je n’aime pas ranger les gens dans des cases préfabriquées. Il y a toujours des personnes qui « dérogent à la règle » et qui se découvrent des goûts et des loisirs qui ne sont pas monnaie courante dans leur milieu. Tu me suis ? N’hésites pas à me le faire savoir si tu te sens égarée dans mes explications ».


Les gens sans vision, sans rêve, sans espoir, sans ambition, sans projets, sans désir de vaincre feront tout pour vous rabaisser à leur niveau. Résistez!!

Alors que je rentrais du marché, j’aperçus Cheryl devant mon portillon. Cette visite inattendue a le don de me donner le sourire, surtout quand j’affectionne beaucoup la personne en question !! A sa demande, je l’invite à entrer et salue de loin son compagnon qui est visiblement pressé. Chose que je comprends tout à fait, car je n’aime pas arriver en retard au travail.
Nous nous dirigeons vers la cuisine où de l’eau bouillante et du thé en vrac nous attendent avec une tarte aux baies roses d’Ad Lucem que j’ai confectionné la veille au soir (Hé oui, j’ai découvert les fruits et légumes locaux !!). Un mets parfait pour accompagner le thé ainsi que nos échanges de cultures autour d’une table. Je devine aisément à l’expression de Cheryl qu’elle a l’intention de revenir sur nos précédentes discussions. Elle se pose mille et une questions et a sans doute besoin que je développe davantage.
Et j’ai raison, car elle se dit interloquée par nos mœurs modernes, basées essentiellement sur le paraître et les futilités : « Je conçois réellement que tu sois intriguée par nos mœurs, qui ont connu une évolution considérable….. « Je serai ravie de pouvoir t’expliquer au mieux ce phénomène et répondre à tes multiples questions, mais c’est au-dessus de mes capacités. C’est un sujet vraiment complexe…. Mais parles-moi plutôt de ton monde à toi. Comment vous vivez, comment vous travaillez, quelles sont vos coutumes, vos spécialités culinaires, vos remèdes, vos loisirs ? Comment s’organise votre société ? Existe-t-il une hiérarchie ? Avez-vous une religion, des croyances ? Dis-moi tout, enfin, du mieux que tu peux. Etant donné que moi-même je ne suis pas parvenue à répondre à toutes tes questions » !!

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