Ce jour-ci, j'avais quitté mon repaire pour entreprendre une quête sur laquelle je m'étais déjà penché bien des semaines auparavant. Je m'apprêtais à dérober le Pendule de Malkira. Les légendes ne tarissaient pas d'éloges quant à cet objet magique aux propriétés inconnues mais indéniablement puissantes. Mais la plus connue, et celle qui semblait la plus réaliste, concevait que ce pendule aurait la faculté d'indiquer la position des morts parallèlement à notre monde. Cela m'avancerait considérablement pour mon objectif sacré et indissociable de mes actes. Après de très nombreuses recherches infructueuses, j'étais arrivé à la conclusion que quelqu'un l'avait déjà, et le gardait jalousement. Cette personne n'était nulle autre que Muriel Tageart, une sorcière noire extrêmement puissante qui serait, mais j'étais incapable d'affirmer la véracité de ces dires, en liaison immédiate avec un démon. Après avoir décelé l'emplacement de la cachette du précieux objet, je m'étais immédiatement mis en route.
J'étais apparu dans un opaque nuage sombre à quelques mètres d'une vieille cabane de bois à l'aspect extérieur délabré. Je pris le temps d'observer les alentours pour éventuellement détecter des pièges voire même la sorcière elle-même. Il n'en fut rien. Pas la moindre trace d'un danger. En revanche, je sentais une forte énergie magique émaner de l'intérieur de la maisonnette, ce qui me confortait dans ma mission. Tout en quittant la lisière de la forêt pour pénétrer dans la clairière où se trouvait la hutte, je fis apparaître dans ma main droite mon long et grand bâton magique noire, mon arme de prédilection, celui-ci étant finement et élégamment bien taillé à son extrémité pointée vers le ciel, soutenant une pierre rougeâtre qui rayonnait. Mon capuchon rabattu sur la tête et ma parure en plumes de corbeau virevoltant au même titre que mon ample vêtement de jais, j'entrais en poussant simplement la porte de bois qui claquait continuellement en conséquence des violentes rafales de vent. Ma première impression concernant ces lieux se confirma dès que j'eus mis les pieds dans l'unique pièce, celle-ci étant plus que poussiéreuse. Quelques lichens et mousses poussaient dans des coins de la cabane, et les murs de charpente tenaient par un miracle divin. Mais ce qui retint mon attention n'était autre que cette petite table de marbre rectangulaire, sur laquelle reposait un coffret de bois aux inscriptions dorées qui se distinguaient bien grâce aux rayons lumineux passant au travers des fenêtres brisées. Cela semblait bien trop simple. J'avais la nette impression qu'on me tendait une embuscade tant l'objet m'était tendu sur un plateau d'argent. Néanmoins, je ressentais la puissante énergie du pendule au sein de la boîte, et rien d'autre. Alors, instinctivement, je tendis ma main gauche pour soulever délicatement le couvercle... Quand je fus propulsé quelques mètres en arrière. Je tombais à genoux, le cœur battant la chamade et la respiration haletante. Il me fallut quelques minutes avant de pouvoir me ressaisir. Quand ce fut fait, je me rapprochais de l'objet, décidé à l'ouvrir. Je ne savais pas vraiment de quelle nature était le piège qui m'avait frappé, mais je pensais avoir évité le pire grâce à mes facultés magiques. Aussi, je réitérais l'opération... Obtenant un résultat similaire. Et, alors que je me plongeais dans mes pensées pour trouver une façon d'atteindre le Graal, une voix éreintée par le temps raisonna dans mes oreilles, me faisant instinctivement me retourner vers elle. Muriel se tenait devant la porte, vêtue de ses habituelles guenilles déchirées lui arrivant jusqu'aux pieds, ses cheveux grisâtres et sales s’emmêlant le long de son visage et de ses épaules. Elle laissa une rangée de chicots éclairer son visage malsain, faisant se rider encore plus sa peau.

- Si j'étais toi, j'éviterai de recommencer !
- Tu viens m'empêcher de voler le pendule de Malkira ?
- Moi ? Bien sûr que non hihi ! Je n'ai pas que ça à faire. Tu t'en es chargé tout seul en tombant dans mon sortilège de protection individuelle.
- ...
- Tu ne pourras pas toucher cette boîte tant qu'elle ne sera pas délogée de son socle par quelqu'un d'autre. C'est une simple précaution pour les voleurs de ton accabit, Luc.
- Si tu penses que cela m'arrêtera, c'est que tu me sous-estimes. Je reviendrai m'en emparer, crois-moi.

Légèrement résigné mais surtout vexé de m'être fait berner de la sorte, je tapais une grand coup avec mon arme sur le sol, faisant apparaître une masse de fumée noire autour de moi qui m'avala, me faisant apparaître des kilomètres plus loin, dans la toute première salle de mon repaire. J'adressais une furtive révérence en direction de la grande statue qui trônait au cœur de cette pièce, m'apprêtant à avancer lorsque je sursautais. Quelqu'un était passé par ici. En effet, certains pentacles tracés à même le sol étaient de simples détecteurs. Trop occupé par mon différent avec la gardienne du pendule, je n'avais pas saisi qu'un intrus s'était faufilé dans les méandres de mon antre. Je fermais les yeux, concentrant mon énergie magique pour détecter l'individu. Cela était d'autant plus simple que je connaissais les lieux sur le bout des doigts. Je ne tardais pas à le débusquer, dans la salle contenant la plupart de mes précieuses reliques magiques, pour certaines venant tout droit de légendes que beaucoup ignoraient. Prenant le chemin le plus court, sachant pertinemment quel tunnel emprunter, j'arrivais sur place, voyant enfin le voleur de mes propres yeux, celui-ci me tournant le dos et s'amusant à triturer une bague dont il pensait sans doute qu'elle avait une valeur pécuniaire intéressante. Secouant négativement la tête, je tardais à lancer une offensive, et pour cause. Je ressentais quelque-chose chez cet étrange personne dont j'ignorais pour le moment l'identité. Ce n'était pas un sorcier, mais néanmoins, quelque-chose d'inhumain émanait de lui. Ne prenant pas la peine de m'attarder plus sur ce détail, je donnais un violent coup de bâton sur le sol. Une onde magique invisible se propagea alors en direction du voleur qui tomba à la renverse, une pression s'exerçant sur son corps, le maintenant plaqué au sol par ma magie. Je m'approchais de lui, ramassant la bague sertie d'une pierre pourpre qu'il avait laissé tomber. Je la reposais sur son socle avant de rabattre mon capuchon derrière ma tête, dévoilant mon juvénile et beau visage.

- Qui que tu sois, tu as fait une erreur en venant ici. Et tu vas le payer.

Lâchant un fin sourire machiavélique, je levais mon bâton, prêt à lui asséner un coup mortel en plein cœur. Quiconque osait me voler devait le payer de sa vie. Je ne tolérais pas qu'on puisse s'en prendre aux objets qui représentaient pour certains mon salut. Mais j'arrêtais mon geste au dernier moment, m'arrêtant sur un point important. Cet homme était parvenu jusqu'ici. Cela n'était pas anodin. C'était par ailleurs l'un des premiers à y arriver. Il possédait donc des facultés exceptionnelles quant au fait de dérober des objets. Je repensais ainsi au pendule que je convoitais. Et si... Et s'il pouvait me le récupérer ? J'avais justement besoin d'un voleur compétent pour déloger la boîte du socle, le sortilège de Muriel m'empêchant de récupérer le pendule tant que quelqu'un n'aura pas enlevé le coffret de bois de la table de marbre. Ainsi, j'approchais mon visage de celui qui avait tenté de me voler, laissant mon souffle chaud caresser ses tympans, lui susurrant un froid « Mais je ferai preuve de clémence aujourd'hui. » avant de désactiver la pression magique qui s'exerçait sur lui pour le maintenir cloué au sol. Je me relevais, lui tendant une main pour qu'il en fasse de même.

- Je ne vais pas te tuer. Mais en échange, tu vas accomplir une mission pour moi. Ta vie contre un vol. Je pense que tu n'y vois pas d'inconvénients ? J'ai besoin d'un homme compétent pour récupérer le Pendule de Malkira.

Les intrus étaient très rares dans mon repaire, et plusieurs facteurs expliquaient ainsi cette hostilité qu'avaient les étrangers mon mon antre. La première des raisons était le fait que je logeais dans les Terres hostiles, un endroit reculé, malfamé et surtout dominé par les sorciers noirs. Cela effrayait ainsi l'ensemble des voleurs qui désiraient s'inviter dans mes quartiers. Deuxièmement, l'emplacement sous-terrain en rendait l'accès très complexe, voire même invisible. Mais la troisième raison était très certainement la plus importante : j'étais le maître des lieux. Ma réputation ne cessait de croître, et beaucoup d'entre mes paires me craignaient. Ainsi, j'avais peu de soucis à me faire quant à la sécurité des lieux. Ou tout du moins, en théorie. Car cette fois-ci, quelqu'un avait réussi à parvenir jusqu'à mes précieuses reliques. Et, chose étonnante en plus du fait qu'il soit dans cette pièce si importante pour moi, cet homme n'était pas intimidé par ma personne. Il devait pourtant se douter de ma puissance et de mes pouvoirs. Peut-être était-ce mon visage juvénile qui le laissait indifférent et lui faisait penser que je n'étais qu'un pauvre garçon pathétique. Cela ne m'empêchait pas d'aborder une expression glaciale. J'étais en quelques sortes une beauté froide. Aussi, le jeune homme improvisa un peu d'humour alors que je m'apprêtais à l'éliminer, preuve de son courage ou bien de sa folie. Enfin, il refusa mon aide pour se relever, ce qui était assez bête en plus d'être fort impoli. J'avais peu tendance à faire preuve de clémence, alors mieux valait ne pas me contrarier. Heureusement pour lui, j'avais réfléchi très vite dans mon esprit, et j'avais su saisir la bonne opportunité pour lui laisser la vie sauve en échange d'un service. Il n'était pas vraiment en droit de discuter étant donné que je pouvais à tout moment le tuer et ceci à ma guise, mais je décelais chez ce voleur un sens aigu dans l'art de la négociation. Ce point de sa personnalité ne m'étonna guère, d'une part parce qu'il semblait bien bavard, et surtout parce que quand on ose voler de telles choses sans être un sorcier, seule la valeur marchande des objets sont intéressantes ; ainsi, il faut savoir parlementer pour en tirer le meilleur prix. Cette rapide analyse de la personne qui me faisait face m'invita, bien que je lui sois clairement supérieur, à me méfier. De plus, je ressentais toujours cette étrange force en lui, à mi-chemin entre la magie la nature... Je n'étais pas encore capable de définir ce que c'était, mais peut-être me faudrait-il me pencher sur la question en cas d'entourloupe de sa part.

J'avais tort sur un point : je n'étais pas totalement en position de force. J'espérais qu'il ne l'eusse pas compris pour éviter d'abuser de moi, bien que je pouvais trouver d'autres chapardeurs de son acabit dans tout le continent, bien que ceux osant s'aventurer jusqu'ici soient une denrée des plus rares. En effet, j'avais nécessairement besoin de son aide car je ne pouvais pas obtenir le pendule de Malkira seul. Cette maudite Muriel Tageart m'avait piégé, et j'étais désormais lié par un sortilège qui m'empêchait de toucher la boîte contenant la relique aux pouvoirs incommensurables tant que celle-ci se trouverait sur le socle de marbre. En outre, j'avais simplement besoin de cet homme pour déloger la boîte, rien de plus. Je l'écoutais parler, sans sourciller un seul instant, laissant la pierre rougeâtre de mon arme nous éclairer vivement en plus des cristaux azurés fichés ici et là dans les murs de ces sous-terrains. Il posait bien trop de questions, et je n'aimais pas forcément cela. Pour me faciliter la tâche, j'avançais mon bâton lentement jusqu'à son visage, jusqu'à ce que l'extrémité lumineuse lui touche le front. Cela le brûla instantanément, et il lâcha un cri de douleur, mais cela ne dura qu'une fraction de secondes. Devant lui se formait alors une vision de la clairière où je m'étais rendu un peu plus tôt, ainsi que de l'étroite cabane qui renfermait le coffret ainsi que l'objet que je convoitais tant. Je retirais alors mon arme, mettant fin cette recrudescence, et faisant également disparaître la douleur qui était née en parallèle de ces informations psychiques que je venais tout juste de lui transmettre. De plus, il n'y avait nulle trace de brûlure sur son visage. Je me replaçais bien droit, avant de m'exprimer sur tous les détails qu'il venait de constater dans ce court laps de temps.

- Je veux simplement que tu récupères la boîte. La sorcière qui la possède pourrait traîner dans les passages, mais je te surveillerai et je te protégerai d'elle. Quant aux possibles autres sécurités ou pièges qu'elle pourrait te tendre, je n'en ai pas la moindre idée, et peut-être devras-tu faire face à des créatures immondes. J'aimerais éviter d'intervenir, mais je n'hésiterai pas pour le bien de notre accord.

Je me permis d'omettre le fait que la sorcière en question était, d'après les racontars, liée à un démon qu'elle aurait réussi à invoquer dans des temps immémoriaux, le démon Bahumat, et qu'elle pouvait se servir de lui. Je n'avais jamais pu vérifier cette information, mais il ne me semblait pas nécessaire de la confier à notre voleur, déjà peu galvanisé du fait que la seule chose qu'il gagnait était le droit de rester en vie. Néanmoins, je devais rester vigilant, car en cas d'attaque de Muriel à son égard, je devais me tenir prêt à apparaître magiquement pour le protéger. Si cette histoire de démon était fausse, je pouvais la vaincre aisément. Je ne me persuadais pas que le chemin serait de tout repos, et pour cause : j'étais certain de devoir aider cet homme à mener la mission que je lui confiais à bien. Je n'avais rien eu à affronter lors de ma première tentative pour m'emparer du pendule de Malkira, et pour cause : j'étais tombé dans un piège qui m'était destiné. Cette fois-ci, des monstres, des esprits ou d'autres entités encore plus maléfiques risquaient de se dresser sur la route de ceux qui essayeraient de récupérer l'objet magique. Mais je ne doutais pas de notre réussite, ayant peu l'habitude d'échouer.
J'avais évité de répondre à la dernière question, et peut-être l'avait-il constaté. Je n'étais pourtant pas né de la dernière pluie, et, en outre, il était hors de question de dévoiler des quelconques informations me concernant. Je considérais mon incapacité à me saisir du pendule comme un point faible, et ainsi une arme dont il pouvait se servir contre moi. L'ayant très vite cerné, ce qui n'était pas extrêmement difficile, je me permettais d'éviter d'aborder de tels sujets. Il pouvait, s'il le souhaitait, réitérer son interrogation, mais cela ne lui vaudrait rien d'autre que de la colère de ma part. Peut-être pensait-il pouvoir me duper ; il était bien loin du compte, et mieux valait pour lui qu'il se rende compte de ma supériorité.

Je tapais sur le sol avec mon arme. A l'entrée de mon repaire, un cheval noir de jais apparut avec des yeux écarlates. Celui-ci était magiquement programmé pour emmener le voleur jusqu'à l'endroit que je lui avais précédemment montré. Quant à moi, je préférais rester ici à l'observer de loin grâce à mes donc de divination, capable de me téléporter dans cet endroit déjà fréquenté instantanément. Je tendis ma main libre en avant, signe que je désirais sceller ce pacte entre nous. Il ne le savait très certainement pas, mais ce simple geste était magique, autant qu'une signature sur l'un des nombreux contrats que j'effectuais. En acceptant ma proposition, il s'engageait à la respecter, tout comme moi. La moindre entorse aux règles ainsi édictées provoqueraient des sentences irrévocables et dévastatrices.

- Un cheval t'attendra à la sortie. Il te guidera jusqu'au lieu de ta mission. Et n'essaye pas de fuir : j'aurais toujours un œil sur toi.

Il me serra la main en guise d'acquiescement. Notre accord était désormais, et il ne pouvait plus revenir en arrière. Quoique, il pouvait toujours tenter de fuir ou de rendre notre contrat caduc, mais il devait se douter des précautions que j'avais prises. Le moindre faux pas entraînerait de lourdes conséquences, et il se pourrait bien que je finisse par l'achever moi-même, chose à laquelle il avait échappé de justesse suite à ma rapide réflexion.
Je l'ai laissé quitté les lieux lui-même, sachant pertinemment qu'il était aisé pour lui de ressortir s'il était arrivé jusqu'ici. Son énième clin d’œil et son ton rocambolesque trahissait une irrémédiable envie de vivre à n'importe quel prix, mais prouvait aussi combien il était audacieux. J'avais certes pu déceler une grande peur dès lors que le coup de grâce allait lui être porté, mais j'avais bien fait de ne pas me fier à mes premières impressions. Cet homme possédait de nombreuses cordes à son arc, j'en étais persuadé. De plus, je ressentais toujours très fortement cette étrange énergie qui l'animait. Et j'allais peut-être découvrir de quoi il en retournait puisque je quittais à mon tour la vaste pièce contenant l'ensemble de mes principales et plus précieuses reliques magiques. Tandis qu'Argan était grimpé comme convenu sur l'étalon plus noir encore que le cœur d'un sorcier maléfique, je m'aventurais plus profondément dans les sombres dédales souterrains de mon antre. Je marchais lentement, le bruit sourd de mon bâton claquant sur le sol raisonnant au travers des tunnels. Enfin, j'arrivais dans une sorte de grotte, nettement plus reculée que l'ensemble des autres salles de mon repaire. La vision de ce lieu pouvait paraître stupéfiante tant cela semblait trop beau pour être vrai, et pourtant : une immense caverne s'étendait sous mes yeux. Une grande étendue d'eau cloîtrée par les murs de roche reflétait les nombreuses lumières projetées par les cristaux turquoises encastrés ici et là dans les parois. Je m'approchais du bord, m'agenouillant simplement et posant une main à la surface de l'eau. Tout en fermant les yeux, une vague d'ondes agita le liquide, vague dont l'origine n'était autre que moi. Et, tandis que la surface se troublait, ma vision autour de moi changea. Je distinguais désormais non plus l'intrigante grotte dans laquelle j'étais pourtant censé me trouver, mais bel et bien la cabane délabrée qui abritait le pendule de Malkira. J'observais Argan, qui, vigilant, descendait de la monture magique prêtée pour l'occasion. Il prenait son temps, analysant les lieux pour en déceler le moindre piège. Mais, tout comme je le fus plus tôt dans la journée, il fut totalement surpris de constater que rien ni personne ne rôdait ici. L'accès semblait libre. Alors il pénétra dans la bâtisse après avoir vérifié qu'il n'existait pas une autre entrée que la porte. C'était tout à fait compréhensible, car pénétrer dans les lieux par une ouverture annexe aurait été bien plus discret, mais qu'importe. Il entra donc, constatant qu'il était encore une fois seul. Sautant sur une chaise, il tendit un bras, prêt à s'emparer de la boîte. J'esquissais un fin sourire tandis que je continuais d'observer magiquement, satisfait de voir que sa mission était un succès aisé. Mon visage changea du tout au tout quand son corps se retrouva entouré d'une sorte de corde noirâtre qui le tira d'un seul coup à l'extérieur, le faisant violemment rouler au sol. La boîte était restée sur son socle de marbre, bien malheureusement. Le lien qui avait entraîné Argan jusqu'à la clairière d'où il était venu disparut, et tandis que le voleur se relevait, une voix aigrie s'éleva dans les airs.

- Petit chapardeur ! J'espère que tu ne croyais pas que ce serait aussi facile ! Ksssssss !

Muriel Tageart quitta la lisière des bois, montrant son visage usé par le temps. Son corps voûté s'arrêta à quelques bons mètres du voleur, tandis qu'elle lui souriait, montrant ses deux rangées de chicots. Elle tapota doucement ses mains l'une contre l'autre avant de tendre un doigt crochu vers le jeune homme. Je continuais d'observer la scène depuis ma caverne, prêt à apparaître le moment venu. Mais je voulais éviter de me montrer, car pour le moment, la sorcière ne se doutait pas que j'avais envoyé quelqu'un faire la sale besogne à ma place. Pour elle, il s'agissait d'un brigand lambda, comme il en existe ailleurs. Pourtant, je dus me résoudre à passer à l'offensive, et pour cause : à la suite de ses applaudissements, un gigueux de bois animé s'avança à son tour à ses côtés. Celui-ci était vêtu d'un drap noir d'où sortaient deux bras boisés armés pour l'un d'une longue épée aiguisée et pour l'autre d'un bouclier circulaire noir qui devait très certainement être plus résistant qu'il n'en avait l'air. Le visage du bonhomme gigueux représentai une moue triste, ses yeux n'étant que deux trous peints en la couleur de la nuit. Cet être était magique, et je savais très exactement comment il fonctionnait. Cette marionnette n'était autre qu'un réceptacle d'âmes : grâce à une maîtrise très avancée de la magie, Muriel pouvait enfermer une âme dans son pantin pour ainsi lui donner vie, et lui permettre d'utiliser les mêmes pouvoirs que l'ancien propriétaire du dit esprit qui l'habitait désormais. Ainsi, il était clair qu'en plus de son arme tranchante, cet être de bois devait posséder une énergie malsaine et magique. Néanmoins, désireux de constater les capacités d'adaptation de votre ami voleur, je le laissais pourtant seul dans la situation périlleuse qu'était désormais la sienne. Peut-être se demandait-il sincèrement si j'avais menti et si j'allais le laisser mourir bêtement ici. Muriel, impatiente d'en finir rapidement, lança aussitôt son pantin à l'attaque.

- Mendigo, élimine-le rapidement !

Le gigueux réagit instantanément à l'entente de son nom et l'élança en avant, parcourant d'un agile saut les quelques mètres qui le séparaient d'Argan, son épée en avant. Le voleur esquiva en roulant sur le côté, peu satisfait de devoir combattre. L'être de bois animé se rattrapa agilement, chacun de ses mouvements causant un bruit de pièces de bois s'entrechoquant. Muriel avait profité de l'attaque de son « assistant » pour préparer une boule de feu noir, boule qui aurait atteint sa cible si je n'étais pas apparu à ce moment précis entre elle et mon acolyte. C'est dans un nuage de fumée que je m'invitais à la fête, aspirant l'assaut de la sorcière avec la pierre rougeoyante située à l'extrémité de mon arme. Celle-ci se mit à rire en m'apercevant. Elle comprit rapidement que j'étais à l'origine de la vaine infiltration du voleur.

- Je vois qu'on n'a pas perdu de temps Luc ! Tu ne me laisses plus le choix !
- Argan, débarrasse-toi de cet espèce de pantin et récupère la boîte.

Il y avait un autre détail que j'avais omis de préciser. Je connaissais son nom alors qu'il ne me l'avait pas révélé. Cela semblait étonnant, et pourtant l'explication était logique. En lui implant les visions dans son esprit avant de venir ici, j'en avais profité pour observer son inconscient de façon très furtive. Cela m'a été suffisant pour apprendre son nom, chose assez utile quand on sait qu'il ne possédait pas le mien. Ou tout du moins, jusqu'à ce que cette maudite sorcière ne me nomme. J'allais justement lui faire ravaler ses paroles, m'apprêtant à lancer un sortilège. Mais pour Argan, un problème subsistait : la marionnette de bois s'élançait à nous vers lui, et il allait devoir l'affronter.

On n'est jamais mieux servi que par soi-même. Je m'en étais vite rendu compte en intervenant dans l'affrontement opposant mon acolyte du jour à cette féroce sorcière à l'apparence repoussante. J'avais pourtant très fortement souhaité que tout se passe sans encombre, qu'il récupère aisément la boîte pour que je puisse à mon tour m'en saisir, mais il n'en fut rien. Trop lent, pas assez précautionneux voire même trop prévisible, il s'était fait rattraper par Muriel qui pensait pouvoir se débarrasser de lui en un rien de temps à l'aide de son fidèle gigueux de bois. Bien heureusement pour lui, mais également et surtout parce que du succès de mon entreprise cela en dépendait, j'étais apparu pour mâcher le travail du voleur. Ainsi, tandis qu'Argan était aux prises avec Mendigo, je faisais pour ma part face à l'hideuse vieille femme qui se redressa subitement pour notre altercation, comme revigorée par l'enjeu qu'était celui de m'éliminer. Instinctivement, je pris les devants, sachant pertinemment qu'à trop traîner je mettais en péril la récupération du pendentif de Malkira. Je pointais l'extrémité crépitante de mon long et grand bâton en direction de mon adversaire, un jet noir de jais fusant vers elle. Elle croisa ses deux bras, mon sombre rayon se disloquant d'un seul coup, des gouttes noirâtres recouvrant ici et là le sol. Se sentant en confiance et pensant pouvoir arrêter tous mes sortilèges de la sorte, elle m'attaqua à son tour, faisant des mouvements circulaires avec son index. Des racines sortirent alors du sol, ligotant mes jambes et mes poignets sans que je puisse réagir. Elle lâcha un rire venu d'outre-tombe, satisfaite. Je restais de marbre, arquant un sourcil en l'entendant s'exprimer.

- Tu sais quoi ? J'ai une agréable et délicieuse envie de te faire souffrir. D'entendre tes cris de douleur, tes gémissements... Aah, j'ai hâte de...

Elle ne put finir sa phrase, bien trop surprise par ma contre-attaque ingénieuse. En effet, malgré mon immobilisation partielle, je pus aisément claquer des doigts, prononçant un mot dans une langue venue de temps immémoriaux. Aussitôt, des gouttes noires présentes sur la terre jaillirent des chaînes métalliques plus sombre que la nuit et où semblaient être inscrites des écritures anciennes bleutées. Les liens saisirent son coup, ses mains, ses jambes mais aussi son torse. Elle ne pouvait plus bouger, pas même le petit doigt. De facto, les racines de bois qui me maintenaient prisonnièrent relâchèrent leur emprise tandis que je m'approchais du visage de Muriel, prêt à y déceler une lueur de peur voire même de désespoir. Mais je ne trouvais qu'une simple famme de haine, alimentée par l'aigreur de son âme et par la colère contenue dans son esprit contre le monde entier. Elle était le stéréotype même d'une sorcière noire, désireuse de se venger d'on ne sait quel mal, voulant s'approprier le monde à son profit personnel pour simplement et uniquement dominer. Cet idéal me dépassait. Je n'étais pas comme les gens de son acabit car j'étais guidé par une quête bien plus noble. Je soupirais alors, m'exprimant avec un calme déroutant et une froideur à toute épreuve.

- Tu sais pourquoi tu finis par échouer ? Parce que tu n'as aucun idéal.

J'entendais son compagnon de bois s'agiter, l'ensemble des pièces le composant faisant d'abominables cliquetis raisonnant dans la clairière. Je détournais alors le regard dans sa direction, constatant qu'Argan ne se débrouillait pas si mal. Agrippé au dos de l'imposante créature animée, il ne cessait de ruer de coups de dague le crâne de celle-ci, pensant l'éliminer avec ça. Je ne savais pas réellement si cela était efficace, mais nous allions très vite pouvoir le constater. Tandis qu'il déchiquetait la tête de bois, le pantin cessait de s'agiter pour finir par chuter et s'étaler de tout son long sans effectuer le moindre mouvement. Surpris de voir qu'un être animé par une âme soit vaincu aussi aisément, je fis un signe de tête en direction d'Argan qui s'était relevé, et me rendit un sourire malicieux. Je lui ordonnais une nouvelle fois d'aller récupérer la boîte contenant le pendentif de Malkira, ne m'attardant sur son exploit. Il allait justement remplir la part de son contrat quand, contre toute attente, une main de Mendigo se saisit de la jambe du voleur, le faisant lourdement chuter. Au même moment, profitant de l'effet de surprise, une cavité de bois s'ouvrit au niveau du dos de la marionnette mouvante, dégageant une énorme quantité de gaz en un court instant. Et, même si Argan s'en était rendu compte, la chute totalement inattendue dont il était victime l'obligea sans qu'il le veuille réellement à inhaler une fine pellicule de la fumée verdâtre qui se dissipa au bout de quelques secondes. Cela eut pour effet d'engourdir légèrement ses membres et de lui procurer un furtif mal de tête. Pour ma part, n'ayant pas pu réagir avant, je l'exhortais à se relever. Mendigo n'était plus qu'un vulgaire tas de bois désormais, ayant rendu son dernier souffle lors de cette attaque qui visiblement n'avait pas eu d'effet. Pourtant, le voleur ne semblait pas entendre ma voix alors que je répétais une nouvelle fois l'intérêt de sa présence ici. Cela me valut un nouveau rictus de la sorcière enchaînée. L'incompréhension pouvant se lire sur mon visage angélique, elle m'éclaira.

- Inutile d'appeler ton ami, il ne doit pas vraiment saisir ce que tu dis. Par ailleurs, je doute qu'il nous reconnaisse. Il vient d'inhaler un gaz hallucinogène ! C'est l'occasion d'en profiter...

Embrassé, je l'entendis siffloter doucement. J'allais lui planter mon arme dans le gosier quand je sentis les fougères bouger. Autour d'Argan et de la cabane se massèrent cinq loups squelettiques qui semblaient affamés. J'étais dans une posture peu agréable désormais. En plus de devoir affronter les nouveaux acolytes de la sorcière, je devais également faire attention à mon acolyte qui était désormais sujet à des hallucinations pendant quelques minutes. Et si ces visions provoquées par le gaz lui faisaient croire que j'étais son ennemi ? Ou pire, et s'il libérait la sorcière par inadvertance ? Enfin, comme un problème n'arrive jamais seul, un cri inhumain déchira l'air, me faisant presque sursauter. Je sentais une énergie plus que malfaisante se rapprocher. Il fallait faire vite. Faites qu'Argan retrouve vite ses esprits, car sans lui, jamais je ne pourrai me saisir du pendule de Malkira...

J'étais dans de beaux draps. Tandis que Muriel restait ligotée sous mon emprise, Argan semblait être en proie à des hallucinations, ses mouvements intrigants ne me rassurant guère. J'allais réduire en poussière les créatures à la solde de la sorcière lorsque je vis le voleur se rapprocher de nous, titubant. Il adressait des coups à une cible invisible, me faisant arquer un sourcil. J'avais remarqué ses griffes, sa rage et sa respiration animale. Je compris alors que cet homme était un métamorphe. Voilà l'étrange énergie que j'avais décelée en lui lorsqu'il avait tenté de me voler un peu plus tôt dans la journée. Cette sensation qui m'avait vaguement rappelé de la magie n'était autre que son côté animal, une face qu'il s'était bien gardé de montrer jusqu'à alors. Voilà qui était tout à fait intéressant, car en plus d'être un voleur aguerri, il se révélait être qui plus est un combattant à la force non négligeable. Mais un problème persistait, et je m'en rendis assez compte : j'étais sa cible. L'effet hallucinogène de ce gaz qui devait posséder quelques propriétés magiques l'incitait à m'agresser, car il s'approchait de moi de plus en plus, m'annonçant qu'il allait me faire « regretter ça ». Je ne pouvais pas l'éliminer, j'avais besoin de lui pour récupérer le pendule de Malkira. Mais je n'allais tout de même pas risquer ma vie pour ça. Aussi, alors qu'il allait m'asséner un coup avec l'une de ses lames, je fis quelques pas sur le côté, esquivant dans tous les cas son assaut, mais je le vis également dévier sa lame pour la ficher dans le cœur de Muriel. Celle-ci lâcha une mine déconfite, son sang coulant sur le sol. Je fis disparaître mes liens, la laissant tomber sur le sol. Lâchant un soupir de soulagement, je constatais qu'Argan avait retrouvé ses esprits. Il ne savait pas vraiment qu'il avait été sous l'emprise de notre ennemie à la suite de son combat face à Mendigo, et n'aimant pas vraiment l'ignorance, je ne lui expliquais même pas ce qu'il s'était passé, le laissant seul face à ses interrogations. De plus, je ne pris pas la peine de le questionner sur ce qui avait bien pu lui donner l'envie de me massacrer, et ceci pour la simple et bonne raison que l'atmosphère changea subitement. Tout autour de nous, l'écorce des arbres se morcelait, les feuilles séchaient et tombaient. L'herbe soyeuse de la clairière ne ressemblait plus qu'à de la mauvaise herbe totalement déshydratée. Les cinq loups squelettiques ne bougeaient pas, entourant toujours la cabane. Mais tous avaient leurs yeux rivés vers une silhouette qui se mouvaient dans la forêt, juste derrière nous. Une puissance incommensurable s'approchait, et je savais très bien de quoi il s'agissait. Mais c'est la sorcière, qui, dans dernier souffle, répondit la première à mon acolyte.

« Bahumat... Bahumat va me venger... Périssez...
- J'ai peut-être omis de préciser qu'elle avait pour camarade un démon appelé Bahumat. Arrête de me regarder et dépêche-toi d'aller récupérer le pendule, par pitié. Et débarrasse toi de ces horreurs. »

Faisant référence aux cinq animaux squelettiques qui gardaient précieusement la petite bâtisse rudimentaire, j'incitais Argan à effectuer sa mission. Il n'avait qu'une chose à faire, très simple : prendre le pendule. C'était l'unique chose que je ne pouvais effectuer, et puisqu'il avait éliminé la sorcière, le sortilège qui protégeait la stèle de marbre où était déposée la relique magique ne pouvait être levé. J'étais ainsi condamné à faire appel à ce voleur. De plus, en tant que métamorphe, il pouvait aisément vaincre des loups, j'en étais persuadé. Pour ma part, je fis face à lisière de la clairière, plantant devant moi mon grand bâton à la pierre rougeâtre crépitante. Une silhouette à l'allure humanoïde fit enfin son apparition. Et pourtant, hormis sa bipédie, l'être qui s'avançait vers moi n'avait rien d'humain. Tandis que deux grandes ailes noires étaient repliées derrière son dos, deux grande cornes trônaient sur son crâne. Sa peau écaillée était tatouée à de multiples endroits de divers symboles, et ses yeux n'étaient que deux orifices aux couleurs de flammes. Ses bras poilus et ses mains aux griffes acérés donnaient froid dans le dos, et son sourire carnassier n'arrangeait rien. Cette créature devait mesurer presque trois mètres et était armée d'une énorme hache. Mais moi, ce qui ne me rassurait pas, c'était l'aura sombre qui l'entourait. Il était clair que j'étais en face d'un démon. Gardant mon calme, je dardais mon regard le plus froid sur lui, alors qu'il s'arrêtait d'avancer, me dévisageant. Une grande gueule aussi solide que de l'acier se mouvait derrière lui.

« Pauvre humain. Tu ne sais pas à quoi tu t'opposes, ni à quelles forces tu vas succomber. Je vais te faire souffrir comme jamais tu n'as souffert ! »

Sa voix était rauque, son ton inquiétant. Tandis qu'il criait le dernier mot, une bourrasque de vent me fouetta le visage, me faisant prendre confiance de sa puissance. Pouvais-je le vaincre ? Cela était tout à fait possible. Mais j'envisageais plutôt de le retenir le plus possible pour que Argan puisse récupérer le pendule de Malkira. Une fois qu'il sera en sa possession, nous n'aurions plus qu'à disparaître. Bahumat leva sa hache en l'air, assénant un coup dans ma direction. Je plaquais mes deux mains l'une sur l'autre, prononçant un mot dans une autre langue. Son arme percuta alors un mur invisible, dont la source n'était autre que mon arme plantée à même le sol. L'impact du choc avec ma protection magique déstabilisa le démon, qui, déséquilibré, se prit de plein fouet mon deuxième assaut, une rayon lumineux rougeâtre émanant de la pierre lévitant au-dessus de son bâton. Il lâcha un cri de rage, s'envolant à l'aide de ses ailes. Reprenant mon arme dans la main, je levais les yeux, constatant avec horreur qu'en plus de n'avoir presque rien senti à la suite de mon attaque, il se permettait de cracher un jet de flammes de sa bouche. Je sautais en arrière plusieurs fois, évitant ainsi son assaut, mais les flammes ne cessaient pas de quitter sa bouche, tant est si bien que son rayon incandescent avançait jusqu'à moi. Plutôt que de fuir, je fis tournoyer mon arme devant moi, le jet s'écrasant sur le petit tourbillon que je formais avec mes moulinets de poignet. Progressivement, les flammes se dissipaient, ne résistant pas à ma magie. Le démon se replaça sur le sol, souriant de toutes ses dents. Je subissais tant sa puissance était grande. Gardant mes yeux fixés sur lui, je ne pris pas la peine d'observer le voleur, conscient que la moindre hésitation, la moindre déconcentration pouvait me procurer un désavantage mortel dans cet affrontement. Bahumat sentait ma détermination, et je sentis son aura sombre se renforcer autour de lui, prenant l'apparence d'un halo noir formant des boules d'énergie.

« Tu es un sorcier puissant, mais tu crois être capable de vaincre un démon ? Voyons voir combien de temps tu tiendras ! »

Même face à un démon de la trempe de Bahumat, il était hors de question de prendre peur. L’effroi était une sensation qui m’était inconnue tant j’étais sûr de moi. L’aplomb que je témoignais envers la situation n’était en aucun cas factice: je savais que j’allais gagner. Néanmoins, pour cela, j’avais besoin de l’aide du voleur qui m’accompagnait. En effet, j’avais déjà prévu la possibilité d’affronter le démon accompagnant Muriel, persuadé que les légendes autour de lui étaient fondés. Sinon, comment cette sorcière aurait-elle pu devenir aussi puissante ? Mais pour l’heure, Argan devait récupérer le pendentif tant convoité par mes soins. Il me fallait gagner du temps, ou tenter d’autres choses pour éviter d’en avoir à recourir à l’aide de quelqu’un.
Bahumat m’observait avec un regard carnassier, cinq sphères noirâtres de magie lévitant autour de lui. Il allait lancer son assaut, mais il n’était pas question de me défendre encore une fois. Il fallait que je prenne des initiatives. J’avais connu tant de situations malencontreuses pire que celle-ci qu’il m’était alors aisé de réfléchir vite, et d’élaborer une stratégie de contre attaque.
Le démon envoya valser en ma direction les boules magiques, qui, si elles me touchaient, m’auraient réduit en un tas de cendres fumant. Je me ruais alors en avant, tendant mon arme en avant.

- Tenebrae dil irk luminosa !

À mesure que je courais, des ondes de lumières s’échappaient de l’extrémité de mon bâton magique, dont la pierre rougeâtre était devenue plus brillante que jamais. Les ténèbres ne peuvent résister à la lumière, et Bahumat était une créature de l’ombre maniant l’ombre. Je n’avais donc plus qu’à l’éblouir, et ses attaques resteraient sans effet. C’était assez simple d’esprit, mais efficace. La preuve était alors que son assaut se transforma en une fine poussière sombre qui s’évapora. Je ne cessais pas ma course, alors que Bahumat récupérait sa hache pour asséner un violent coup dans le sol en ma direction. Il tenta de me faucher à l’horizontale, mais je sautais agilement au-dessus de l’arme, continuant d’aller en sa direction. Mais au dernier moment, il sifflota doucement, replaçant son arme sur son épaule. Il entonna une incantation dans la langue occulte des démons, et une vague d’énergie m’arrêta dans mon élan, me propulsant à des mètres en arrière. Je me réceptionnais avec difficulté, glissant sur le sol en tentant de m’immobiliser avec mon arme. Bahumat lâche un rictus. Il réitéra avant même que je ne puisse effectuer le moindre mouvement. Je fus projeté à nouveau dans les airs. Je prononçais une incantation alors que je retombais en direction du sol, et une projection invisible vint m’arrêter dans ma chute, me permettant de me replacer debout. Sa puissance était phénoménale. Nous étions pour l’instant en statu-quo, ce qui me déplaisait, car je n’arrivais pas à prendre l’ascendant. Fallait-il réellement que je dévoile tout mon potentiel lors de cet affrontement ? Le démon tendit sa hache dans ma direction, soufflant un filet de fumée qui ne me disait rien qui vaille.

- Je reconnais que tu es extrêmement fort, tu sembles danser avec la magie. Mais tu ne parviendras jamais à me toucher ! Je suis un démon bien trop puissant, même pour toi !

Il leva alors son arme au-dessus de sa tête, la plaçant de façon strictement verticale au ciel. Une concentration d’énergie se faisait sentir, et des filets d’électricité noire apparurent, formant une espèce de boule au-dessus de son arme qui ne cessait de grossir. Mais cette fois-ci, j’avais pris les devants. J’avais profité de son discours et de la préparation relativement lente de son attaque pour m’autoriser une distraction en la contemplation de l’oeuvre de mon acolyte. J’étais satisfait: il était en possession de la relique tant convoitée par mes soins, et m’observait, posté au-dessus de la cabane qui renfermait plus tôt le dit objet. Je remarquais au sol néanmoins que certaines créatures étaient toujours présentes, et n’attendaient qu’une chose: que le voleur redescende. Je mis ma main gauche dans ma toge et en sorti un minuscule sachet en tissu, dans lequel reposaient trois triangles métalliques aux arabesques et symboles magiques finement gravés. Je le tendis en direction d’Argan, le faisant disparaître puis réapparaître à ses pieds dans un nuage de fumée noire. Si le voleur était suffisamment rapide et compétent, alors ce combat allait très vite aboutir à une victoire, comme je le pressentais. Néanmoins, il ne me fallait pas trop relâcher ma vigilance. Voilà Bahumat qui m’attaquait à nouveau. Mais cette fois-ci, il n’envoya pas la boule directement sur moi: un immense rayon laser venait d’en sortir pour fuser en ma direction. Surpris, j’eus tout juste le temps de planter mon bâton dans le sol et de tendre mes paumes de main en avant, fermant les yeux. Je concentrais ma magie pour former une barrière de protection. Le rayon entra en collision avec elle, ne cessant pas. Bahumat lâcha un rire inhumain. Sa puissance était phénoménale, et je ne savais pas si j’allais tenir. Pour le moment je ne pouvais répliquer. Gardant les yeux fermés, j’envoyais un message télépathique en usant de ma magie à Argan. « Place ces triangles autour du démon de façon triangulaire. Dépêche toi ! ».
Alors que jusque-là, je résistais, je me sentis faiblir, et mon corps se mit à trembler. Mes mains voulaient se détacher, ma magie semblait se disloquer. Pourtant, je renforçais encore plus mon emprise, augmentant la résistance de ma barrière. L’assaut de Bahumat semblait éternel. Etait-ce donc là la puissance d’un démon de haut niveau ? J'étais moi-même magiquement excessivement puissant, et pourtant, je me sentais faiblir. Si Argan ne se dépêchait pas, j’allais devoir changer de tactique. Mais en bloquant le rayon du démon, je l’immobilisais lui aussi, et, ne faisant pas attention au voleur, il était alors plus aisé pour ce dernier de réaliser la mission que je lui avais ainsi confiée. Néanmoins, il m’avait semblé apercevoir encore quelques créatures hostiles aux pieds de la cabane où le voleur était perché. Il allait devoir être rapide, et efficace.

J’étais si près du but. Si près d’obtenir le pendentif de Malkira. Mais il restait une marche à gravir dans l’escalier de la réussite, et elle n’était pas des moindres: le démon Bahumat. Si seulement j’avais dans les mains le bijou magique… J’aurais aussitôt pris la fuite, non pas par lâcheté, mais par pur pragmatisme. Mais je me voyais mal demander au voleur de m’envoyer la relique. C’était insensé, il aurait compris que je le laissais dans une situation désastreuse. À la place, je devais compter sur ses qualités de vitesse et sa réactivité.
Je résistais à l’assaut du démon supérieur, restant concentré. Je voyais que mon acolyte du jour s’empressait, malgré la horde de bestioles démoniaques à ses trousses, de placer les artéfacts triangulaires autour de mon adversaire. Lorsqu’il eut fini, je lâchais une esquisse de sourire assez satisfaisant. La confiance que j’avais en ma stratégie me redonna de la puissance, et j’amplifiais ma barrière. D’un seul coup, je levais les bras au ciel, criant un simple mot dans une langue occulte et perdue depuis des années. D’un seul coup, le rayon sombre de Bahumat cessa, explosant en même temps que ma barrière magique. Je plaçais par la suite mes mains de façon à imiter un triangle, concentrant ma magie. Le démon, quant à lui, planta sa hache dans le sol, se préparant à réveiller des forces maléfiques. J’attendais, impatiemment, que sa nouvelle attaque ne se déclenche. C’est alors que je ne fus pas déçu. La terre devant le démon commença à se fracturer, et une déchirure commença à se former, allant dans ma direction, une lumière rougeâtre se dégageant de la faille ainsi créée.

- Que la noirceur soit confinée dans la prison de lumière ! Ac tenebras et de terra adhæsit in unum compressitque universum !

Alors que la faille allait s’ouvrir à l’extérieur du triangle formé par les trois bijoux placés autour du démon, elle cessa de s’ouvrir. Un triangle de lumière bleutée s’élevé du sol tout autour de Bahumat, qui pesta. Il donna un coup violent à l’aide son poing contre l’une des bases, sans succès ; il réitéra à l’aide de son arme, en vain. Il lâcha un cri inhumain.

- Tu es pathétique ! Plutôt que de me combattre, tu m’emprisonnes ! Tu vas me le payer sorcier.
- T’emprisonner ? Tu continues donc de me sous-estimer à ce point ?

Le triangle que je formais avec mes mains commença alors à s’agrandir. Tandis que je séparais mes main progressivement, la barrière triangulaire qui elle entourait le démon se mit à… Se resserrer. Lentement, la créature était confinée dans un espace de plus en plus exigu. Il tenta de donner encore et toujours des coups contre ce qui l’emprisonnait, lançant des flammes et autres. Mais cela ne servait à rien. La lumière allait triompher des ténèbres. Cela semblait paradoxal compte tenu de ma nature, mais je n’étais pas qu’un adepte de la magie noire. Aucune magie ne me résistait. Je n’étais ni bon, ni mauvais. J’étais simplement talentueux. Et l’artefact que j’utilisais n’était pas là par hasard: je savais que j’allais devoir affronter un adversaire de ce calibre. J’avais une tendance accrue à croire dans les légendes. Or, celle entourant Muriel faisait référence à Bahumat, et il me fallait me préparer à toute éventualité. C’est pour cela que j’avais prévu ce plan, au cas-où mes pouvoirs ne suffisent pas, ce qui, malheureusement pour mon honneur personnel, était bel et bien le cas.
La prison se renfermait lentement. Lorsque les murs de lumière touchèrent la peau du démon, celle-ci se mit à se calciner dans un bruit aigu, se transformant en une fumée à la couleur indescriptible.

- MAUDIT SORCIER ! Je reviendrai te détruire, crois-moi. JE REVIENDRAI TE TUER ET TU N’Y POURRAS RIEN !

D’un seul coup, je plaquais mes deux mains l’une contre l’autre. La barrière se referma d’un seul coup, faisant disparaître la créature. Une vague de magie se déversa sur le champ de bataille, faisant trembler les fondations de la cabane et faisant virevolter les arbres. Mieux valait que je prenne en compte les remarques du démon: je ne l’avais pas détruit au sens où on l’entend. Je l’avais en fait banni dans la dimension démoniaque. Mais l’essentiel était là. Satisfait, je me tournais vers le voleur, constatant qu’il était entouré de quelques créatures assoiffées de sang. Décidément… J’avais usé beaucoup de magie, mais je pouvais tout de même l’aider une dernière fois avant de récupérer mon artefact. Je récupérais mon bâton, que j’avais planté dans le sol lors de l’assaut magique de Bahumat, et je le tendis vers les atrocités puantes. Quelques flammèches quittèrent le bout lumineux de mon arme, allant jusqu’aux animaux, les enflammant magiquement. Tandis qu’ils se débattaient avec la mort, deux des animaux démoniaques, comprenant ce qui venait d’arriver à leurs congénères, esquivèrent mon assaut. Il ne restait plus qu’à Argan de les tuer. Quant à moi, je me permis d’aller récupérer les trois bijoux triangulaires placés sur le sol par le voleur, ne souhaitant pas laisser à l’insu de tous une relique comme celle-ci.

Tout semblait se terminer, la créature maléfique eut disparue, et plus que deux chiens monstrueux subsistaient. Argan en profita alors pour sauter sur eux et les plantes avec ses dagues, les transperçant de partout, faisant un fromage répugnant fait de chaire putride, de sang et d’os. Les chiens se débâtirent, mais le voleur resta rapide. Au final, il arriva à avoir le dessus et ne laissa donc derrière lui, plus que deux tas de chaire monstrueuses sans vie.
Quand il eut fini d’achever le dernier, le maître voleur regarda autour de lui cherchant si oui ou non, un autre danger les guettait. Mais on dirait que non, tout ennemi avait disparus. La cabane même n’était plus qu’un tas de bois écrouler, vestige de leur mésaventure. Pour Tanguy, ce fut un soulagement. Lui qui doutait de ses chances de survie, que malgré ses efforts il risquait de mal finir, n’osant imaginer comment, il était bien heureux de se retrouver indemne.

Le sorcier noir récupérait donc ses fameuses reliques. Argan se disait bien que ces babioles, pouvaient se revendre à prix d’or. Mais il ne voulu tenter le diable en dérobant un ou deux triangles pour la revente. Déjà, pouvoir partir en vie d’ici serait sa meilleure récompense et dans l’espoir de… Ne jamais plus revoir ce maudit sorcier.

"Tu as eus ce que tu voulais, je te file donc ton bijou et on est quitte non ? Chacun repart de son côté ?" Ce qui ne lui déplairait pas.

Son opinion vis-à-vis des pratiquants de la magie avait-elle changé ? Non pas du tout. Argan se méfiait toujours des sorciers, et Luc n’avait rien arranger. Après ce petit combat ou chacun voulait plus gagner une récompense qu’autre chose, Argan voyait toujours la dangerosité et l’égoïsme exacerber des mages. Oui, le voleur agissait souvent pour son propre compte aussi, c’est un fait. Mais il voyait surtout que plus on avait du pouvoir, plus on prenait des risques incalculé, ne se gênant pas de mettre la vie d’autrui en danger. Tanguy n’avait rien d’un saint, mais il se consolait en se disant qu’au moins lui, il ne privait la vie à personne, ne forçait personne à agir contre son gré. Il était l’ombre, elle avançait, n’impactait personne, n’emmenait personne dans son sillage…

J’avais vaincu un démon puissant, et je n’étais pas peu fier de cet acte. Pour être tout à fait honnête, j’avais légèrement douté de ma victoire pendant une fraction de seconde, et ceci tenant du fait que j’avais dû faire appel à quelqu’un d’autre que moi pour l’emporter. Mais même si cette action n’avait pas abouti, j’avais d’autres cordes à mon arc pour le vaincre. J’allais ainsi récupérer avec lenteur les artéfacts à l’origine de la déchéance de Bahumat tandis que le voleur me servant d’acolyte s’occupait des derniers loups démoniaques. Enfin, nous vainquîmes tous nos ennemis. C’était terminé. Je laissais échapper un fin sourire carnassier à la vue du pendentif que tenait précieusement Argan, une brise venteuse secouant mes mèches de cheveux. Je m’approchais du voleur, tendant la main.

- Tout à fait, nous en avons term…

Au moment-même où je touchais le bijou, il se décomposa en une fine poussière bleutée qui s’envola lentement vers le ciel. Une voix venant d’outre-tombe se fit entendre, ressemblant à s’y méprendre à celle de la sorcière Muriel, vaincue plus tôt. « Voici mon dernier cadeau, sorcier de malheur ! Tu peux dire adieu à cet artéfact magique ! Je l’emporte avec moi dans la tombe ! ». Comment avait-elle pu ? Elle avait donc placé un sort d’auto-destruction au cas-où elle périrait ? J’étais déconfit. Claquant sur le sol avec mon bâton magique, je laissais échapper un cri de rage. Je m’étais fait duper par cette magicienne ! Elle avait bien réussi son coup. En d’autres termes, toute cette entreprise de destruction n’avait abouti qu’à mon échec, une fois n’est pas coutume. J’observais le voleur, dardant sur lui un regard glacial à en faire trembler plus d’un.

- Toi. Puisque je n’ai pas pu obtenir l’objet, nous sommes toujours liés par un contrat. Tu me dois un service en échange de ta vie, ne l’oublie pas. Je viendrai chercher mon du quand le moment sera venu.

Aussitôt, je m’évaporais en une fumée noirâtre, disparaissant définitivement des lieux. La bataille pour l’obtention du pendentif de Malkira était désormais close. Mais Argan n’avait pas fini d’entendre parler de moi. Car, un jour, j’aurais nécessairement besoin de ses compétences. J’en étais persuadé.